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LA VOIX AU CHAPITRE

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27 avril 2012

Une interview de Marc Lizano par Doc Flebus à propos de "L'Île aux 30 cercueils" (Noctambule, 2011)

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A l’occasion de la sortie de "L’île aux 30 cercueils" (Décembre 2011, Noctambule) qu’il a librement adapté du roman éponyme de Maurice Leblanc, Marc Lizano a accepté de répondre à mes questions ayant trait à son travail sur ce livre qui détonne un peu parmi sa bibliographie.


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Doc Flebus - Il y a longtemps que tu désirais adapter le roman de Maurice Leblanc qui t'avait impressionné lorsque tu en avais vu sa version TV à la fin des années 70 (tu avais 8/9 ans). Comment as-tu su que c'était le bon moment pour le faire ? Comment s'est produit la rencontre avec la petite-fille de Leblanc ? Comment le livre est-il arrivé à être édité dans la collection "Noctambule" et quel a été le rôle de la directrice de collection, Clotilde Vu ?

Marc Lizano - Le bon moment ? Mis à part celui où tu montes ton dossier, c'est quand même finalement celui où un éditeur signe un contrat. Mais j'ai commencé quelques études sans être sûr de ce que je voulais en faire. J'ai cherché quelques pistes à la peinture, mais j'avais quand même en tête de ne pas être en mesure de le faire comme je le souhaitais. C'est un truc très diffus, d'avoir une envie en tête sans qu'elle soit identifiable. Et puis, j'ai fait une page d'essai pour mettre le dossier en route.

Doc - Tu visais un public particulier en adaptant le livre ? Ou peut-être est-ce plutôt l'ambition de l'éditeur en publiant des adaptations de livres connus de faire venir à la BD des gens qui n'en lisent pas ou peu ?

Marc - Pour l'essentiel, je ne visais personne. Pas un livre jeunesse, en tout cas. Je visais surtout à retrouver les émotions, les petites frayeurs que je me rappelle avoir eu quand je regardais les épisodes du téléfilm de 1979. Ou plutôt les cauchemars que je faisais après avoir vu les épisodes… L'éditrice ne cherche pas trop à faire des reader-digest, des versions "light" des romans à adapter. Je crois qu'elle cherche surtout, dans la collection Noctambule, à préserver le lien qu'un auteur a ou a eu avec une œuvre. Des discussions que j'ai eu avec elle, c'est vraiment ce qui ressortait, d'autant plus qu'elle n'a à priori pas d'objectif de production. Jusqu'à présent, il y a eu entre 2 et 4 livres par an autour de cette collection et je n'ai pas le sentiment qu'elle cherche à produire juste pour alimenter la machine. Vraiment, et je crois que ça se sent quand on voit les titres déjà parus, chaque livre a l'air d'avoir sa place… Maintenant, là, on pourrait croire que le projet a été pensé et monté avec Noctambule dès le début, ce qui est loin d'avoir été le cas. J'avais fait des essais (il doit me rester deux trois dessins) il y a une bonne quinzaine d'années. Puis, avant de monter le dossier, je suis aller voir la petite fille de Maurice Leblanc, son ayant-droit pour négocier l'adaptation dont j'avais eu le contact via une rédactrice de "Je bouquine", pour qui j'avais travaillé sur un Dracula et sur "Les Hauts de Hurlevents". Cette rencontre c'était avec un éditeur de Glénat, Franck Marguin, et on se réjouissait déjà de faire la série ensemble sauf que notre enthousiasme n'a pas été partagé par le directeur d'alors (parti depuis fonder "12bis", je crois). Du coup, j'ai présenté le projet à Jean-David Morvan pour sa collection Ex-libris dans l'idée de faire une trilogie. Lui était visiblement enthousiaste, mais là encore, ça n'a pas été partagé par l'éditeur, Guy Delcourt, et l'idée de la trilogie est donc tombée à l'eau. Quand j'ai appris que Delcourt avait repris des part de Soleil pas longtemps avant la sortie de "L'île" chez Noctambule (c'est une sorte de label au sein de Soleil) ça m'a pas mal amusé. Il se trouve que, quand le dossier était chez Delcourt, en discussion, je l'avais aussi envoyé à Clotilde Vu qui montait la collection. Elle m'a dit être intéressée par le projet avant que je n'ai la réponse définitive de Jean-David. Avant d'avoir la réponse négative de Delcourt, l'idée que le livre rejoigne Noctambule me plaisait terriblement, principalement parce que Clotilde souhaitait travailler ses adaptations en one-shot.


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Doc - Comment s'est déroulé le travail d'adaptation ?

Marc - Concrètement, je suis parti d'une toute première version du scénario avec uniquement les bribes, les souvenirs que j'avais de la série. Ensuite, j'ai comparée cette version avec une sorte de résumé du livre que j'ai fait au long de mes livres (lectures ?) du roman. J'ai même, un temps, pensé à travailler avec un scénariste (Denis Leroux) avec qui j'avais publié "Robin de Sherwood" au moment de monter le dossier. Il avait commencé à noter des choses de son coté (que je n'ai pas vues) mais n'était pas spécialement emballé par le récit. Le fameux lien dont je parlais avant lui manquait. Je crois d'ailleurs que les feuilletonistes, ce sont des romanciers à lire quand on est enfant…


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Doc - Le livre est dense, des personnages ont été moins développés (que devient Stéphane, par exemple ?), comment as-tu privilégié telle scène plutôt qu'une autre ? Quelles ont été les étapes de l'adaptation?

Marc - Sur la base de mes souvenirs dans un premier temps. Les scènes de mort, les meurtres et quelques images que j'avais en tête m'ont permis d'établir le squelette de mon récit. Mais les souvenirs avaient aussi occulté pas mal de choses fondamentales du roman. Il a fallu reprendre tout cela avec une idée centrale pour moi qui était de centrer le récit autour de la relation entre Véronique d'Hergemont et son fils. C'est le souvenir de son enfant qui la tient tout au long du livre et, pour moi, clairement, la seule histoire d'amour du roman est là, entre Véronique et François. Pour info, je voulais un temps que Stéphane s'écrase sur les rochers. Mon éditrice m'a suggéré de lui laisser une chance dans le livre…

Doc - Il est vrai qu'il y a des images choc. Ce que subissent les soeurs d'Archignat par exemple. Ce roman doit être le plus noir de Leblanc (si je puis dire). Ça a dû te changer des livres plus intimistes ou plus destinés à la jeunesse que tu as faits.

Marc - C'était très amusant de passer à des scènes de tendresse avec des petits à ces scènes de crucifixions. Ceci dit, dans les récits intimistes, je prépare quelques histoires pas très funkys en ce moment… C'est juste en écriture. Et, si on y regarde bien, "La petite famille" parle du deuil, "L'enfant cachée" de la Shoah, mais c'est, il est vrai, traité avec beaucoup de délicatesse dans l'écriture de Loïc Dauvillier.


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Essai de coloration


Doc - Un découpage et des dialogues finalisés dès le départ ?

Marc - Non, le livre était trop long à réaliser pour que je sache dès le début ce que j'allais dessiner au 5ème ou au 6ème chapitre… Sur un récit d'une telle ampleur, c'était important de me laisser des zones où je ne savais pas trop ce qui allait se passer. Je dis ça mais le canevas était quand même carrément posé du début à la fin du livre, même s'il y a eu quelques aménagements postérieurs.

Doc - Certaines images (le pont de bois sur lequel passe et repasse Véronique, le piège dans lequel se trouve Stéphane) rappellent un peu celles du feuilleton TV. C'est voulu, inconscient ? Justement, comment ne pas être influencé par des images déjà existantes, même si le média n'est pas le même ?

Marc - C'est très voulu mais, en même temps, je n'adaptais pas le feuilleton non plus. Par exemple, je n'ai pas fait brûler le pont. Et, comme tu le dis, le média n'est pas le même, on peut faire confiance au dessin pour emmener le lecteur ailleurs. Quant à savoir si j'ai réussi à l'emmener là où je souhaitais qu'il aille, je ne sais pas, mais j'aime bien penser que oui : )

Doc - Le feuilleton télé avait pris la même option mais en attribuant le rôle du sauveur à Stéphane si je me souviens bien. Dans ton adaptation, il n'y a plus de héros venu secourir "la veuve et l'orphelin". Si Vorski tombe, c'est à cause de sa folie.

Marc - Oui, en psychanalyse, on dirait que Vorski est une sorte de pervers narcissique et qu'il va s'autodétruire. J'ai hésité, à la fin du récit, à ce que Véronique ou François tuent eux même Vorski. D'une part, je trouvais ça assez "cliché" et, surtout, ça me semblait dans la logique de son comportement mortifère d'aller au bout de sa pulsion de mort.

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Recherche de personnages


Doc - Tu as opté pour une adaptation façon feuilleton, découpée en chapitres (avec accroches à la fin), des pages didactiques, des couleurs passées. Tout concourt pour donner cette impression d'avoir entre les mains un livre ancien. Pourquoi avoir opté pour ce choix ?

Marc - Par exemple, je n'aurais jamais fait une fausse couv abîmée par les outrages du temps, comme on peut le voir dans les livres qui reprennent les codes des pulps au second degré. J'aime bien l'idée sauf que, justement, je ne faisais pas une adaptation second degré. Vraiment pas. C'est plutôt ce qu'on appelle un truc postmoderne dans l'imagerie. Mais en aucun cas du second degré, ce qui laisserait à penser que je serais plus fin que ça. Il y a un peu de ça dans le second degré, cette sorte d'idée qu'on est plus malin que le truc qu'on dit aimé. Or, moi, je suis assez couillon dans mon amour de ce genre de récit : ça me plaît vraiment, simplement et très directement. J'ai fait des essais avec les couleurs pour leur donner un aspect gravure sur bois comme on en trouve chez Henry Rivière ou avec un aspect gratté, abîmé comme en lithographie. On a même fait imprimer une page mais les effets que j'ai fait alors laissait à croire que c'était juste mal imprimé. On a donc garder cet aspect proche de la sérigraphie avec peu de base couleurs et ma chance a été que le papier mat et l'impression (l'odeur de l'encre ou de la colle à relier) conforte cela. D'autant qu'on ne voit quasiment pas la trame de la quadri. J'avais aussi un peu peur que la teinte que j'avais choisie, une teinte taupe qui frôle le kaki, ne sorte trop grisé ou trop terne, ou trop proche d'un vert de gris. Tout ça pour dire que j'ai été gâté par la fabrication du livre, je trouve. Curieusement, il y a même des gens (dans les articles ou les chroniques du livre) qui semblent penser que le livre est en noir et blanc.

 

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Doc - En ce qui concerne le second degré, puisque tu réfutes cette intention, je suis d'accord avec toi en ce qui concerne l'adaptation. Parce que si le récit est à lire au premier degré, ce qui, je pense, devait être le but des feuilletonistes en donnant aux lecteurs des sensations, quelles qu'elles soient, plus qu'à réfléchir, la présentation rappelle celle des feuilletons du XIXe-début XXe paraissant en fascicules (le livre pourrait en être un recueil). Que ce soit par la couleur ou les pages genre "Le saviez-vous ?". On ressent un petit plaisir différent, plus intellectuel, de ce que l'on peut lire dans les pages du récit proprement dit.

Marc - Oui, ce n'est pas premier degré comme l'étaient les textes des feuilletonistes, mais c'est encore moins du second degré si on l'entend comme une blague potache. Sur un forum, quelqu'un parlait de méta-fiction ou d'hommage et, du coup, ça en fait un truc plus intellectualisé que les récits premiers qui sortaient dans les journaux, c'est très vrai.

Doc - Tu as fait un énorme travail sur ton dessin. Certains personnages semblent taillés dans le même granit que l'île.

Marc - C'est vrai que c'est peut-être un dessin moins naturel chez moi. Ce qui est sûr, c'est qu'il ma effectivement demander beaucoup plus de travail. Si tu ajoutes en plus le fait que j'ai réalisé les planches en format A2 (grosso modo, 40x60 cm) c'est même à se demander si je ne cherchais pas les ennuis… Ça a été pour moi un travail énorme. Mais le récit qu'était celui de "L'île aux trente cercueils" demandait cela je crois.

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Doc - Ce style plus rugueux, un peu éloigné de celui de "La petite famille", t'est-il venu naturellement ?

Marc - Non, pas vraiment. J'ai fait des petits essais à la peinture, une page d'essai (celle de mon dossier d'ailleurs elle aussi à la plume, en grand format mais avec une mise en couleurs plus vives et réellement quadri.

Doc - As-tu travaillé avec des outils (plumes) différents ?

Marc - Non, crayonnés sur du papier machine en format A3, strips après strips, puis encrage à la table lumineuse sur du Canson Ingres Vidalon avec de l'encre Rohrer Klingner à la plume, avec des porte-plumes d'écoliers et des vieilles plumes Baignol et Farjeon 823 dont j'ai constitué un stock sur les vides greniers et sur Internet. Plus les retouches et les couleurs sur mon ordi ensuite.

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Doc - Penses-tu reprendre ce style plus réaliste pour d'autres projets ?

Marc - En fait oui. Mais pas tout de suite sur un projet de cet ampleur. Sans doute pour des albums plus courts. J'aimerais le faire sur une courte série. En même temps, ça ne dépend pas que de moi. Je dis ça et si je trouve un projet qui me plaise et un éditeur qui propose le même genre de projet, ça peut se faire…

Doc - Tu as travaillé sur un très grand format (A2). Qu'est-ce que t'a apporté ce format ? N'est-on pas tenté, lorsque l'on dispose d'un espace aussi grand de mettre des détails qui seront finalement invisibles ou écrasés à l'impression ?

Marc - Non, ça amène juste un peu de finesse dans mon encrage qui est assez brut. Ça m'a permis, je crois de garder de la vie alors que j'aurais été tenté de trop fignoler en plus petit format. Ceci dit, travailler à ce format, ce n'est définitivement pas raisonnable…

Doc -Une expo des planches originales en noir et blanc grandeur nature serait d'ailleurs intéressante.

Marc - Il y en a une préparée et montée par "Brest en bulles" dans une vieille maison de Loperhet pour leur édition 2012. On a fait en sorte de montrer pas mal de choses (roughs, crayonnés, planches encrées, couverture, études…).


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Essai et version définitive


Doc - Comment s'est fait la mise au propre des planches ? De façon linéaire respectant l'ordre définitif des planches ?

Marc - Oui, à quelques exceptions près… et quelques retouches ensuite sur quelques cases…


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 La dernière image encrée (p.72)


Doc - Au début, il me semble qu'il était question de faire la colorisation en quadrichromie. Comment t'est venue l'idée de faire cette sorte de bichromie (je ne sais pas trop quel nom donner à cette mise en couleur :-) ) qui ressemble aux images bicolores des magazines anciens (tu as parlé de couleurs se rapprochant de la sérigraphie) : une dominante sépia auquel s'ajoute une autre couleur : du bleu au début, souvent du rouge (sang) ?

Marc - Faire des couleurs en quadrichromie, ça donne une sorte de souci naturaliste qui collait mal avec l'ambiance que je cherchais à faire ressortir. Au début, j'ai quelques essais en quadri, de manière assez classique mais il en émanait quelque chose qui ne correspondait pas à ce que je cherchais à faire passer. On a donc fait plusieurs essais pour tenter la bichro (ou presque parce que c'est finalement une quadri avec une gamme très limitée). je pensais faire un choix de teintes différents à chaque chapitre mais, outre le fait que ça avait déjà été fait dans "A bord de l'étoile Matutine", l'adaptation de Riff Rebs du roman de Mac Orlan, ça ne rendait pas l'ambiance que je cherchais. Clotilde Vu a même demandé a des coloristes de proposer des solutions… Parfois, c'est très analytique, très pensées ces choses-là. Mais souvent, l'empirique, c'est le mieux pour le dessin. Tu fais et tu vois ce que ça donne et tu t'approches au mieux de ce que tu cherches à faire passer. Au final, on a trouvé cette solution de garder les tours de cases, les bulles et la typo en noir, le trait dans une teinte sang de bœuf assez foncée et deux teintes de vert grisé (une claire, une foncée) pour l'essentiel du récit sauf les flash-backs qui passent dans une teinte grisée avec le trait en bleu très foncé. Bien sûr, quelques traits ont été pensés avec les teintes plutôt que le sang de bœuf parce que ça permettait de marquer la profondeur ou l'horizon et il y a aussi quelques éclats ou aplats de rouge de temps à autre, surtout quand la mort venait à frapper…


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Page du dossier de présentation à l'éditeur


Doc - J'ai lu récemment "Les ignorants" d'Etienne Davodeau (Futuropolis) que je recommande, en passant, à ceux qui aiment le vin et la BD. Le thème central en est la création et Davodeau relate une journée passée à l'imprimerie afin de mettre au point les couleurs d'un album. As-tu toi aussi rencontré l'imprimeur ?

Marc - Non, pas celui de ce livre, même si je sais bien, avec gargantua, comment cela se passe… L'imprimeur avait une base validée sur laquelle s'appuyer et, si c'était frustrant de ne pas être sur place, je dois dire qu'ils ont travaillé au plus près de ce que j'espérais.


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Doc - La réalisation de l'album a duré plus longtemps que prévu.

Marc - On peut même dire que j'ai foutrement été en retard, oui.

Doc - Il n'y a pas de lassitude qui s'installe, des périodes de doute ?

Marc - Non, en ce qui concerne ce livre. Mais j'ai passé une sale période après avoir travaillé chez un éditeur qui a plutôt malmené les livres que j'ai faits chez lui et aussi malmené et balladé leurs auteurs. J'en reparlerai à l'occasion car un procès est en cours grâce au soutien sans faille du syndicat des auteurs (le SNAC). Mais, clairement, j'ai pensé tout simplement arrêter ce métier. Soit parce que je ne suis peut-être pas armé pour travailler ainsi, soit parce que la manière dont l'édition fonctionne largement aujourd'hui ne permet peut-être plus de travailler sereinement.

Doc - Qu'est-ce que ça apporte de travailler pour de "grosses" maisons d'édition ?

Marc - Ça dépend complètement des structures et des personnes. Là, j'ai travaillé dans de meilleures conditions que chez les petits éditeurs avec qui j'avais pu travailler (même si les forfaits ont amené un prix à la page bien plus bas qu'il y a 20 ans).

Doc - Plus de pub faite au livre à la parution, un emplacement privilégié dans les vitrines ou les étals, un suivi assuré après la parution ?

Marc - Oui, quelques tournées de dédicaces, sans doute plus de presse aussi. En tout cas, pour mon cas, la presse a plutôt chouette.


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Doc - Mais, le livre n'est-il pas aussi noyé dans la masse de ceux de l'éditeur ?

Marc - Oui, même si le label Noctambule est quand même très raisonnable de ce coté-là. Les livres sont de toute manière surtout noyés dans la surproduction actuelle, où qu'ils soient.

Doc - De plus, à l'allure où vont les parutions, son actualité n'est-elle pas plus réduite chez un gros éditeur que chez un petit ?

Marc - Alors, ça dépend de son accueil et aussi, ensuite, de ses ventes. Si ça décolle, l'éditeur va porter le livre. Sinon, il travaillera sur les suivants qui déboullent parfois à un rythme assez dément je trouve.

Doc - Avant d'avoir lu l'album, connaissant le livre de Leblanc, je me suis dit "Encore un sujet concernant la famille" (tu le signales d'ailleurs dans ton livre). Tu as réalisé avec Loïc Dauvillier "La petite famille" et dernièrement "L'enfant cachée", tu as travaillé pour la presse familiale et scolaire, tu as illustré des livres pour enfants. C'est important la famille pour toi ? Pourquoi occupe-t-elle cette place si importante dans ton travail ?

Marc - Pour "L'île", l'idée même de la famille est quand même un peu explosée. C'est plutôt l'idée de l'enfance qui revient. L'idée bateau qu'on ne guérit jamais vraiment de son enfance ou que l'essentiel de ce que nous sommes peut venir de là. Moi, j'y puise en tout cas pas mal de choses. Et puis, dans mon travail j'aime surtout l'idée de mettre en place des livres que je pourrais qualifier d'humaniste dans l'idéal, intimiste en tout cas dans ma façon de les aborder…

 

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Doc - Tu as mis de côté tes travaux annexes, sources de revenus, pour réaliser cet album. De quoi vit un auteur durant une période comme celle durant laquelle tu as travaillé sur "L'île" ?

Marc - Je vis assez modestement mais je n'ai pas trop le choix en fait. Je travaille plutôt beaucoup mais je ne sais si c'est lié à mon travail ou à la situation, ça reste quand même difficile comme métier. Et le fait qu'il soit si précaire n'arrange pas grand chose. On verra si les deux livres sortis coup sur coup fin 2011, "L'île aux 30 cercueils", chez Noctambule, et début 2012, "L'enfant cachée", au Lombard, changeront quelque chose à mon travail. Ou au regard des éditeurs sur mes livres. Le retour de presse a été plutôt très bon mais c'est encore tôt pour savoir si les ventes sont au rendez-vous, et je crois que ça compte finalement pas mal du coté des éditeurs. De ce que je vois, en ce moment, on est pas mal d'auteurs à avoir l'impression de presque recommencer à zéro à chaque livre fini…

Doc - Mais, justement, n'est-ce pas le propre du créateur d'être confronté à ce "retour à zéro" à chaque fois qu'il présente une oeuvre nouvelle ?

Marc - En partie, on pourrait aussi imaginer mettre en place un travail au long court, chaque livre répondant aux précédents, chaque livre étant parfois une graine pour les autres à venir. Là, les livres disparaissent assez vite… La remise en question, elle est là de toute manière, quelle que soit la situation. En ce moment, je dirais que la situation n'est pas tendre.

Doc - Es-tu content de l'album terminé ? Ressemble-t-il à celui que tu avais imaginé ? Y-a-t-il des choses que tu n'as pas pu faire ou y mettre (contraintes liées au format, par exemple) ?

Marc - Ben, en fait, il est même au-delà que ce que je pensais faire avec ce projet. J'ai tellement désiré ce livre que ça a été assez bizarre de le voir fini. Mais je le trouve beau, qu'il sent bon (vraiment) avec une vraie belle finition. Curieusement, même si on me dit qu'il aurait gagner à être un chouilla plus grand, moi, je n'ai pas grand chose à redire… Ça me semble vraiment très proche de l'idée que j'en avais, assez proche de ce que je pouvais rêver faire avec ce livre. Vraiment. Et puis, il y a aussi que je suis super heureux d'être à coté des bouquins de Riff Rebs et de celui de Cromwell. C'est un peu couillon comme sentiment mais c'est pas vrai…


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  Recherches pour la couverture


Doc - Lorsque tu as commencé à travailler sur "L'île", il était question que tu adaptes d'autres récits de M. Leblanc pour d'autres dessinateurs. A l'époque, la petite-fille de Leblanc t'avait donné la possibilité de le faire. Qu'en est-il aujourd'hui de ce projet alors que l'oeuvre de Leblanc est tombée dans le domaine public en début d'année et qu'il risque d'y avoir de la concurrence pour l'adapter en BD ?

Marc - Je ne sais pas s'il y a des choses en route mais j'ai quelques envies de faire du Lupin pour les enfants. On a commencer à bosser là-dessus (je ne serai pas tout seul) mais c'est encore trop tôt pour en parler ou pour même envisager savoir si ça va se faire… J'aimerais bien faire quelque chose de très espiègle avec Lupin, pas le Lupin arrogant et un peu m'as-tu-vu qui m'agace pas mal chez lui…


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Doc - Durant la réalisation de cet album, tu as trouvé le temps de dessiner "L'enfant cachée" -dont tu as parlé un peu plus haut et dont le scénario est de Loïc Dauvillier)- et surtout de créer avec Joël Legars une maison d'édition, Gargantua. Ça fait beaucoup. Comment on gère tout ça ? Pourquoi avoir créé cette maison d'édition ?

Marc - Ça a été compliqué à la fois de jongler avec les deux projets. C'était beaucoup de travail mais, en même temps, chacun des deux projets a beaucoup apporté à l'autre. Pour mon dessin, c'était très important. Pour les délais, ça a été un autre problème, tu t'en doutes … Pour ce qui est de Gargantua, on est dans une autre logique, je n'y suis pas seul et c'était une envie plus que présente depuis que je fais ce métier. Le faire avec Joël Legars, nos femmes, c'est très vivifiant. Ça demande pas mal de travail mais, parfois, je me dis aussi que Joël m'a poussé dans cette aventure au moment ou je me demandais comment continuer à travailler dans l'édition, qui est loin d'être un milieu tendre. Avoir cette petite maison d'édition, c'est plus qu'une cours de récréation (c'était le cas quand je faisais du fanzine avec "Oh, la vache !", "Hybrid comix" ou "La fédération française de comix") là, il y a aussi ce plaisir de publier des auteurs qu'on aime (Comme jean-Christophe Mazurie ou Thibault Poursin…) et de faire des projets dont on rêve même si ça semble improbable (comme les nouvelles illustrées qu'on a produites. Quand on pense qu'on va publier "La légende de St Julien l'Hospitalier" de Flaubert, illustrée par Follet ou "Le chef d'œuvre inconnu" de Balzac, avec des illustrations de Götting !)

Doc - Quels sont les retours que tu as de la part des lecteurs, de la part de l'éditeur ?

Marc - L'éditrice m'a dit tout son bonheur à le voir fini et je crois qu'elle en est simplement heureuse. Je crois qu'on a fait un très beau livre, même si ça semble peu modeste de dire ça. Moi, je suis fier de ce bouquin, tout bonnement content. Si par éditeur, tu penses à Mourad ou à Guy Delcourt puisqu'il a repris la direction de Soleil entre temps, je n'en sais rien. J'ai juste croisé Mourad dans les bureaux à Paris au début et Guy à Angoulême.

Doc - Quels sont tes projets à venir ?

Marc - J'ai en tête une adaptation jeunesse de Lupin, quelques récits intimistes pour des one-shots, un peu dans l'esprit de "Bluette-sur-Mer" ou de "Ventricule" mais pour certains avec un fond plus lourd ou plus adulte, je ne sais comment le dire. Et puis, quelques envies de travailler avec des auteurs avec lesquels je discute… Tout ça, c'est une autre histoire…

Doc - Je n'en suis pas sûr (dis-moi si je me trompe), j'ai reparcouru le livre, mais je ne crois pas que tu donnes la raison du nom de "30 cercueils" que porte l'île. A ce sujet, faut-il avoir lu le livre de Leblanc pour saisir toute cette histoire un peu compliquée ? Tu as eu des remarques là-dessus ?

Marc - Oui, il y a pourtant un entrefilet sur une tête de chapitre là dessus. On évoque l'idée de la proximité avec le mot sarcophage, et puis l'île a presque la forme de Sark, la petite île anglo-normande qui est à côté de Jersey et de Guernesey. En même temps, dans le roman, elle semble être située dans l'archipel des Glénans. Et, pour info, le feuilleton télé avait été tourné en partie sur L'île aux Moines, dans le golfe du Morbihan. Bon, à dire vrai Sarek, c'est une île qui n'existe pas. Uniquement dans le roman de Maurice Leblanc, en tout cas.

Doc - Ce que je voulais dire c'était que le nom de "30 cercueils" donné à l'île était dû aux 30 écueils qui l'entourent et que le mot "écueil" serait devenu, par glissement homophonique, "cercueil".

Marc - Oui, j'avais oublié cette explication. C'est aussi une des pistes données par Leblanc… "L'île aux trente cercueils", ça claque quand même vraiment bien comme titre : )

Doc – Oui. Merci, Marc.


(Mars/Avril 2012)

En complément, les adresses du blog de Marc Lizano  et du site des Editions Gargantua.


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Le dessin de couverture original


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21 décembre 2009

La voix au chapitre n°7 : Petite revue de presse

Deux mythes de la bande dessinée franco-belge fêtent cette année leurs anniversaires : Tintin ses 80 ans et Astérix ses 50 ans.
Ce qui a donné lieu à quelques festivités et articles dans divers journaux et magazines.
En ces occasions, Le Monde et L'Express ont sorti chacun un numéro spécial consacré à Hergé et à son personnages le plus connu, tandis que le magazine Beaux-Arts a fait paraître un hors-série "Astérix a 50 ans".

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L'Express vient donc de faire paraître un hors-série (6,50 euros) consacré plus globalement à la personne d'Hergé plutôt qu'à son héros fétiche, "Hergé, la vie secrète du père de Tintin".

C'est ainsi que sont retracés la vie et le parcours d'Hergé, depuis ses premiers dessins jusqu'à l'ouverture du Musée qui lui est désormais consacré à Louvain-la-Neuve et jusqu'aux films produits par Steven Spielberg, en passant par la période trouble de l'Occupation. Sont évoquées ses diverses influences et ses différentes sources d'inspiration. Quelques témoignages et une bibliographie viennent compléter un hors-série très intéressant qui trouvera tout naturellement sa place aux côtés des différentes biographies consacrées à Hergé, comme celle de Pierre Assouline "Hergé" (Folio, env. 11 euros).

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Intitulé "Tintin, le retour", ce numéro spécial du Monde (8 euros) s'attache plus particulièrement au mythe Tintin, au travers de nombreux articles -dont certains ont déjà paru dans le journal en diverses occasions-, d'interviews de tintinologues et de tintinolâtres, d'auteurs de BD ayant subi l'influence d'Hergé et un grand nombre d'illustrations.

Personnellement, je conseillerais, s'il fallait choisir l'un de ces 2 hors-série, celui de L'Express.

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Depuis quelques temps, le magazine Beaux-Arts consacre des hors-série consacrés à la bande dessinée.
Après s'être posé la question "Qu'est-ce que le manga ?" et s'être intéressé à tous "Les secrets des maîtres de la bande dessinée", Beaux-Arts nous offre un hors-série (6,50 euros) consacré aux 50 ans d'Astérix.
Les aficionados du personnage gaulois trouveront dans ce numéro peu d'informations inédites, l'histoire étant déjà largement connue et ayant été maintes fois racontée par les créateurs.
Néanmoins, on pourra se réjouir de trouver dans ce magazine un article d'une trentaine de pages faisant la part belle au génie de dessinateur d'Uderzo, ce qui n'est pas si courant, ainsi qu'une étude sur les différentes formes prises par l'humour de Goscinny, le tout très richement illustré.

A noter, dans le numéro de janvier de dBD, une interview d'Uderzo par Frédéric Bosser, ainsi que deux articles de Henri Filippini, consacrés l'un à Goscinny, le second à Uderzo.

11 décembre 2009

La voix au chapitre n°6 Spécial "Très gros livre" : "Fugue pour six pattes" de Thiriet

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Jean-Michel Thiriet n'est pas ce fils de bonne famille, ce mari aimant, ce père attentionné de 6 enfants, cet intellectuel que les grosses lunettes dont il s'affuble quand il se dessine pourraient laisser croire...
Jean-Michel Thiriet n'est rien de tout cela.
Jean-Michel Thiriet n'aime pas les MP3, ni 4, ni 5...
Jean-Michel Thiriet n'aime pas les banques qui ont remplacé les merceries.
Jean-Michel Thiriet n'aime pas le pain congelé.
Jean-Michel Thiriet n'aime pas les mangas.
Jean-Michel Thiriet est un PASSEISTE.
Et un passéiste de la pire espèce qui soit : un passéiste qui n'aime pas les années 80.

Alors, pourquoi lire Thiriet ?
Ouais, c'est vrai ça, pourquoi lire Thiriet ?
Bah, y en a bien dans le tas qui trouveront une raison.

(je continue mon exposé)

Peu de personnes le savent (moi-même ne l'ai appris qu'en lisant cet article), Jean-Michel Thiriet est le fils de Gébé.
S'il le cache soigneusement, ce n'est non pas par honte pour le travail de son père mais plutôt parce qu'être "fils de" n'étant guère apprécié à notre époque, il a préféré se faire un nom par lui-même. Ce qui n'est pas rien dans notre société quand on n'a pas un père influent.
C'est Gébé qui lui enseignera le dessin à grands coups de crayon sur le bout des doigts.
C'est de Gébé, qui fut dessinateur industriel à la SNCF, qu'il tient cet amour de la perspective et des trains.
Et s'il ne tient pas à faire connaître sa filiation naturelle, il est aussi et surtout le fils spirituel de son père.
C'est Gébé qui lui lèguera cette façon décalée de voir les choses.

"Je lui dois tout", reconnait Thiriet évoquant Gébé.

A la disparition de son père, c'est Marcel Gotlib, dit "Le Maître" dans la profession, qui le prendra sous son aile et lui ouvrira les pages de son journal, Fluide Glacial.
C'est Gotlib qui lui apprendra comment ne pas réussir une caricature.
C'est aussi Gotlib qui lui enseignera cet habile stratagème consistant à signaler non loin de la caricature non-ressemblante le nom de la personne soit-disant caricaturée.
Leçons que Thiriet a parfaitement assimilées, comme le prouve sa série "L'histoire de la musique en 80 tomes" qui paraît actuellement dans Fluide Glacial.

"Je lui dois tout", reconnait Thiriet évoquant Gotlib.

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Il signe ses premiers travaux "JMGB" (*) (lire évidemment "Jean-Michel Gébé") jusqu'à ce qu'un de ses amis ne lui fasse remarquer que "JMGB" signifie également "Jeunesse Musicale de Galardon-lès-Bistouilles", l'association musicale d'un petit village du Vaucluse, dont la réputation n'est certes pas internationale mais suffisante pour prêter à confusion.
C'est en voyant le camion frigorifique THIRIET venant chaque semaine recongeler "Le Maître", afin que nous puissions le conserver plus longtemps parmi nous, que Jean-Michel Gébé décide d'adopter ce pseudonyme.

(*) reprenez vos anciens Fluides Glaciaux et vous verrez si je n'ai pas raison (**).

"Je lui dois tout", reconnait Thiriet évoquant ce camion.

Sa rencontre avec le non-illustre illustrateur Irlandais, Sean O'Mercey, dont la célébrité n'a pas dépassé les portes de la mercerie qu'il tient dans le petit village de Derrynacrannog (***), rencontré lors d'un voyage en Irlande sera prépondérante dans sa façon de hachurer son dessin pour lui donner du relief. Son attirance pour les merceries "Old style" vient également de ce dessinateur.

(***) ça existe, vous pouvez vérifier : c'est entre Magheramenagh et Ballymagaghran (**)

"Je lui dois tout", reconnait Thiriet évoquant Sean O'Mercey.

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"Mercery" (détail) par Sean O'Mercey
(Dessin accroché au-dessus du rayon "Boutons" - Collection privée de l'auteur)




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Le dernier livre publié par Thiriet, intitulé "Fugue pour six pattes", fera date dans la carrière de l'auteur, par son importance (360 pages) et par son poids (408 g).

On retrouve tout au long de ce long ouvrage, toutes les obsessions de Thiriet :
l'art pictural, la musique, les digressions, les chevaux, les animaux qui parlent, les personnes nues, l'ambiance de conte de fée, bref tout ce grand n'importe quoi qui fait que ses détracteurs -et pas seulement agricoles- repèrent ses livres au premier coup d'oeil et partent en courant.

Car -Lustucru ?- il y a du Lewis Carroll chez Thiriet.

Pour ceux qui n'auraient pas le temps de lire le livre en entier, je recommande tout particulièrement les pages : 23, 67, 99, 121, 176, 201, 257, 298, 331 et éventuellement la page 158 si on a du temps devant soi.

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Sinon, ben, après tout un tas de péripéties inénarrables (4), l'histoire se termine sur un suspense insoutenable. Prémices d'une suite. L'auteur injoignable depuis la parution de son livre n'a pas pu nous répondre.

(4) comme je ne sais pas si on dit "irracontable" ou "inracontable", j'ai mis "inénarrable" (5) (**)

(5) "inénarrable", pour ceux qui ne connaissent pas le mot, ça veut dire "irracontable" (ou "inracontable", je sais pas) (**)

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Ce qu'on aime
- l'espace réservé au-dessus de chaque planche permettant de s'en servir comme mémo
- le manque de couleurs, qui permettra aux parents de jeunes enfants, moyennant la censure de quelques pages trop osées ou trop violentes (pp 67, 138, 175, 244) et l'achat de quelques crayons de couleurs, malheureusement non fournis, d'occuper leurs progénitures des heures durant
- l'hommage à Gébé (p. 181)
- le "making of" (spécial à la première édition) permettant de se faire une idée de la manière dont l'auteur travaille


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Ce qu'on n'aime pas
- le nom de l'auteur rappelé seulement à la fin : en 300 pages, sans rappel fréquent, les plus distraits d'entre les lecteurs risquent de l'avoir oublié
- l'absence fréquent de résumé de l'histoire pour une raison similaire à la précédente
- le manque de couleurs, compensé par l'usage, décrit plus haut, qui pourra en être fait

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3 bonnes raisons de ne pas lire ce livre :
1. Vous n'aimez pas lire
2. Vous n'aimez pas rire
3. Vous aimez lire et vous aimez rire, mais pas en même temps
4. Il coûte 25 Euros (mais ça compte pas vraiment pour une raison de pas le lire, parce qu'on le lise ou pas, ça ne change pas le prix du livre, hein)

En conclusion, certains se poseront la question de l'utilité d'un tel livre et je leur répondrai "Eh ho quoi personne t'oblige à l'acheter" auquel j'ajouterai "non mais alors".
Ceux qui ne se poseront pas la question pourront toujours l'acheter.

Voilà. C'est tout pour aujourd'hui. A la semaine prochaine. Peut-être. Parce que, après une telle critique, je ne suis pas sûr qu'on m'en commande une autre. Même gratuitement. De toute façon, je l'avais bien dit que je ne voulais pas parler de ce truc. Mais on m'a forcé. Alors après faut pas s'étonner, hein. Tout ça parce que Thiriet connait quelqu'un appartenant à l'ORGANISATION.

"Fugue pour six pattes" de Thiriet (L'Association) - Prix éditeur : 25 Euros

(**) je mets le (*) pas trop loin du sujet auquel il se rapporte parce que, quand on le met à la fin et que le texte est long, on est obligé de faire des allers-retours incessants entre les 2 (*). C'est pour ça.

2 décembre 2009

Une interview de Jean-Michel Thiriet par Doc Flebus

JEAN-MICHEL THIRIET :

BD, MUSIQUES ET VIDEOS

(Une interview de Jean-Michel Thiriet par Doc Flebus)

 

S'il était né en Angleterre, les dessins de Jean-Michel Thiriet trouveraient leur place auprès de ceux de Ronald Searle ou de Glen Baxter.
En France, ses BD devraient se ranger auprès de celles  de Gébé,Gotlib,Goossens.
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L'ordre alphabétique ne favorise pas cette proximité.


Doc Flebus : - Tous les enfants dessinent. Puis, devenus plus âgés, la plupart s'arrête de le faire tandis que d'autres continuent et y trouvent un moyen d'expression. Quand t'es-tu aperçu que dessiner était pour toi une façon de t'exprimer ?

Jean-Michel Thiriet : - Mon père dessinait des cow boys à cheval et des indiens pour nous amuser. j'ai essayé de faire pareil... Je me souviens qu'à dix ans j'avais déjà quelques ambitions. Faut dire que j'ai lu le premier Astérix l'année de sa sortie... 1964?

- Je crois que c'était en 1961. Tu dis que ton père vous faisait des dessins pour vous amuser. Il dessine bien ? Il y a des artistes dans ta famille ?

- Mon parrain, forgeron des mines à Hénin-Beaumont, jouait du jazz toute la nuit entre deux journée à la mine, sans dormir. Sinon, mon frère est musicien et ma nièce est réalisatrice du film Ariol d'Emmanuel Guibert...

- J'ai lu que tu avais suivi des cours à l'Ecole des Arts Plastiques de Strasbourg pendant 3 mois avant de t'apercevoir que la BD n'était pas enseignée.
Tu as été long avant de voir qu'il n'y avait pas de BD. Qu'est-ce que tu faisais pendant les cours ? Tu pionçais ?

- Oh je suivais péniblement les cours mais les chapiteaux corinthiens ça va 5 minutes !

- Pourquoi tu n'as pas continué ?

- Fallait se lever tôt. Et pis, les chapiteaux corinthiens ça  va 5 minutes!

- Je suppose qu'il y avait des cours de dessin académiques.

- Eh non !!

- Tu y as appris quelque chose ?

- Les chapiteaux corinthiens, mais ça  va 5 minutes !

- L'humour permet de séduire, de se défendre, de se protéger...
Quand t'es-tu aperçu que tu avais de l'humour ? Comment l'as-tu utilisé et de quelle façon ? Comment définirais-tu ton humour ?

- J'ai constaté que la dérision et la déconnade pouvait suppléer à mon manque de performances sportives et de présence physique en général... Et puis, l'humour est un outil très utilisé par mon père, encore, et mon frère, qui m'a initié à plein de trucs, dont la lecture de Pilote, de Gotlib, etc. Plus ça va, plus je me méfie de l'humour... et fais la différence entre être cynique et user de dérision, ce que je fais souvent, et le sens de l'humour, qui est une distanciation que l'on a face aux épreuves. Là, je chie complètement.
Définir... Poètico-humoristique, dit-on... On m'a demandé d'interrompre
Trois tiers de Trio avec cet argument : "dérive poétique". c'est très péjoratif...

- Ton frère t'a initié à Pilote, Gotlib... Ton frère est plus âgé que toi ?

- Vi.

- Il a des talents aussi ?

- Vi, il écrit, a fait des sketches pour France-Inter qui furent lus par Romain Bouteille, Claude Piéplu et François Morel.

- Ton dessin est très reconnaissable, ta calligraphie aussi. Combien010
Euh... tu dessines à la plume ou au pinceau ?

- J'avais lu dans un interview de Gotlib qu'il dessinait à la plume Sergent-Major... Alors, j'ai fait de même. Quand je l'ai rencontré, je lui ai annoncé, tout fier, mais il a nié s'être jamais servir de ça. Pfff. Retour case départ.
J'ai utilisé des
Gillott, mais Edika faisait une razzia dans les magasins parisiens et on n'en trouvait plus, alors j'ai adopté les plumes Atome, qu'on trouve partout, et qui ne coûtent pas cher. Et pis surtout, c'est ce qu'utilise Jean-Christophe Menu, alors vu la large palette des ses traits, fins ou très épais, y a pas de raison d'utiliser autre chose. Et lui, je l'ai VU LES UTILISER HAHAHA.

- Te reconnais-tu quelques influences ? Quels sont les auteurs, quels que soient leur art, qui t'ont marqué ?

- Cabanes, Masse, Loup, Lucques, tous quatre virés de Fluide Glacial... et pis Goossens, Jacques Tati, Hugot... Je ne sais pas si toutes ces influences se voient, disons qu'elles ont été formatrices de ma passion.

- Tu reconnais une filiation avec Gébé. Lui était très politisé et une partie de son oeuvre est marquée par la politique. On ne peut pas dire que ce soit ton cas. Y a-t-il de la politique dans tes dessins ?

Combien002- J'ai essayé de faire des dessins politiques pour le Canard Enchaîné, Charlie-Hebdo, Siné-Hebdo... Je n'ai pas eu la moindre réponse(*)... Faut dire que ma spécialité c'est plutôt les gags avec des LAPINS.
J'ai aussi participé à
Amnesty International, mais décidément, je n'arrive pas à abstraire ou faire de l'humour avec les sujets graves. Je préfère faire des dessins avec des LAPINS.
J'ai quand même fait des dessins bénévoles pour la presse d'extrême-gauche, mais me suis lassé de leur dogmatisme et de leur amateurisme en tant que journalistes et maquettistes!!!

(*) depuis cet entretien Thiriet livre régulièrement des dessins à Bakchich


- On trouve tes premières traces dans Fluide Glacial en 1984. Sont-ce tes débuts dans la BD ou bien avais-tu fait d'autres choses avant ? As-tu participé à des journaux amateurs (genre journaux lycéens ou fanzines) ?

- Boah nan très peu. Chic, Le Psikopat Illustré, le journal du Conseil Général du Gard, la revue d'Amnesty....

- T'as dessiné dans Chic ? Je ne me souviens pas. C'était le journal de BD de Lob, c'est ça ? Y a pas eu bcp de numéro.

- Vi. Lob. Il aimait bien ce que je faisais. J'ai pas eu le temps de le rencontrer, comme Alexis et Franquin, entre autres...

- Comment es-tu arrivé à Fluide Glacial ?

- J'ai envoyé des planches... Ils m'ont pris une page, alors j'ai décidé d'insister. J'ai pris la place de Coucho qui partait... A l'époque, les dessinateurs étaient moins nombreux mais on leur demandait une régularité absolue pour fidéliser le lectorat... Alors il y avait peu de places... J'ai eu la chance d'arriver au bon moment.. Enfin, ça a pris 3 ans avant que je devienne régulier, en juillet 1986, je m'en souviens comme si c'était il y a 25 ans.

- Fluide Glacial publie tes premiers albums assez rapidement, puis de façon rapprochée en suivant le rythme de publication dans le magazine : Histoires peu crédibles en 1989, Contes d'à côté en 1990, Trois tiers de trio (dans la foulée de la publication dans Fluide) en 1992 et 1993, Combien de marins avec Baron Brumaire en 1994. Pourquoi Verte campagne n'a-t-il pas été publié chez Fluide mais à L'Association ? (il y a un précédent avec Blutch et des récits de Sunnymoon)

- Ben pour les mêmes raisons que Blutch ! Pas vendable... Ou trop peu.
Il y avait eu
Chat mange pas d'pain, aux Mal-Elevés, précédemment.. Mêmes raisons..

- Tu as connu plusieurs rédacteurs-en-chef à Fluide et, alors que d'autres dessinateurs sont partis, tu es toujours là et en es devenu un des piliers. Comment expliques-tu cette situation ? Comment ont été tes rapports avec les différents rédacteurs-en-chef ?

- Pas pilier. Pilotis. Un pilier, on l'enlève, ça tombe.
Les rapports ont été variables. J'ai toujours espéré que
Fluide devienne Charlie Mensuel. Mais ce n'est pas leur propos. Les meilleurs rapports sont ceux que j'ai avec Thierry Tinlot, qui est très à l'écoute, très impliqué et très franc, surtout, ce qui fait avancer les choses très vite.

- Tu aurais voulu faire de Fluide un Charlie Mensuel. T'entends quoi par là ?

- L'ouverture sur la bande dessinée innovatrice, par exemple..

- Diversifier les BD, mettre des BD non-humoristiques, l'ouvrir aux BD anciennes, aux BD étrangères ?

- Vi

Combien003
- Tu commences à travailler à Spirou en 1993. Comment y es-tu entré ?


- Menu m'a dit "Tiens , J'ai rencontré Tinlot qui aimerait travailler avec toi..." . Je l'ai appelé l'après-midi même et paf. C'était parti pour 15 ans.
Il a tout essayé pour que j'arrive à pondre UN TRUC QUI MARCHE, comme dirait Bashung, mais je ne suis bon que sur les trucs courts... Je n'arrive pas à inventer des personnages à personnalité précises, ou des univers bien définis... Je pratique plutôt un comique de situation... D'où ma flexibilité et ma faculté d'adaptation à des évènements journalistiques ponctuels, animations, gags, etc...

- Comment avais-tu fait la connaissance de Menu ?

- Je l'ai croisé au Psikopat !! Il faisait le Lynx à tifs. C'est lui qui a publié mon premier bouquin Riche et célèbre à L'AANAL, ancêtre de L'Association.

- Comment s'est faite ta collaboration avec Larcenet sur La vie est courte dans Spirou ? Qui en a eu l'initiative ?

- Laurent Duvault, qui aimait mes idées mais considérait mes dessins comme peu commerciaux. J'ai donc envoyé des kilos de fax à Larcenet qui les dessinait.
Dupuis a proposé qu'on sorte l'intégrale, il y a peu, mais Larcenet a refusé, prétextant qu'il avait fait tellement de progrès en dessin qu'une telle réédition nuirait à son image (je cite.)

- Qui est Laurent Duvault ?

- Directeur de collec chez Dupuis, à l'époque, à qui on doit entre autres La fille du professeur de Sfar et Guibert...

- Plus généralement, quand tu scénarises pour d'autres (Baron Brumaire, dernièrement Thierry Robin pour Sex crimes), d'où vient la demande ?

- C'est l'éditeur qui cherche à me faire enfin vendre un peu d'albums...

- Dans ton travail, on trouve aussi bien du dessin d'humour, des strips, des demi-planches, sans doute plus rarement des planches complètes, et des récits un peu plus longs de 4, 5 ou 6 pages (je mets de côté Fugue pour six pattes, un peu à part, qui fera l'objet d'autres questions). Comment travailles-tu ?
Je suppose que les récits les plus longs font l'objet d'un découpage élaboré. En ce qui concerne les autres formes, fais-tu des brouillons ou sont-ils réalisés d'un premier jet ?

- Tout est dessiné et découpé, car j'estime que la réussite d'un gag ou d'une histoire tient beaucoup au rythme qu'on choisit, et à la mise en scène, même si ça frustre un peu le dessinateur...

- Quand tu scénarises pour les autres, sous quelle forme livres-tu ton scénario ?

- Comme ça :

scenar_red


- T'es-t-il arrivé de travailler sur un scénario qui n'est pas de toi ?

- Jamais !!!

- Tu sembles être l'homme providentiel. On ne compte plus les idées que tu as pu fournir pour toi ou pour d'autres pour le sommaire de Spirou (c'est encore le cas actuellement) ou d'autres rubriques en général très courtes. De même pour la rubrique de Eric Deup dans Fluide ou pour les Série Or de Fluide Glacial (et même pour le blog de Fluide où tu sembles très actif). Comment te viennent tes nombreuses idées ?

- Eh ben... Je cherche, si ça vient pas je me couche, et dans le noir ça vient mieux. Je retombe souvent sur de vieilles idées déjà exploitées, alors je cherche encore.

- Suite de la question précédente : une infime partie de cette production a été publiée dans Combien de capitaines. En verra-t-on un jour une publication intégrale ?

- JE NE PENSE PAS.

Combien014- La musique semble avoir une grande importance dans ta vie. Elle apparaît dans tes BD jusqu'à en être le sujet principal (Trois tiers de trio, Les brigands du Vistre, L'histoire de la musique en 80 tomes). D'où vient ce besoin d'en parler ? Quels sont tes rapports à elle ?

- J'ai commencé la musique à peu prés en même temps que le dessin... C'est complètement autre chose, le contact avec les gens, l'extériorisation, le spectacle. C'est le contraire du caractère solitaire et introverti du dessinateur... Je suis hélas plus efficace en scénarios... J'ai écrit quelques chansons mais ça n'intéresse personne. C'est un métier très dur et qu'il faut pratiquer trés longtemps avant de se faire un trou... Alors c'est plutôt un loisir...

- En ce qui concerne les récits de Les brigands du Vistre, c'est du vécu ?

- Pas mal d'évènements réels servent de base.... Mais pas le gros monstre vert qui sort d'une mare, par exemple.

- Fugue pour six pattes est ton premier long (très long) récit. Comment l'as-tu élaboré ?
Il semble y avoir une sorte d'écriture automatique. Quelle en est la part d'improvisation ?

- 100%. Je me suis dit que certains le faisaient en racontant des histoires absolument pas intéressantes de leur vie quotidienne.. J'ai relevé le défi de faire pareil mais en plus rigolo.

- Une suite est-elle prévue comme le laisse entendre la dernière page du livre ?

- Pas vraiment. J'aimerais essayer maintenant le contraire, à savoir une histoire bien ficelée et contrôlée.

- Tu as publié 3 livres à L'Association plus quelques participations : quels sont tes rapports avec cet éditeur ?

- J-C Menu a et est toujours une grande influence en ce qui concerne la bande dessinée, l'éthique artistique, la musique, et les baskets.

Combien011

- Tu as travaillé pour Canal + : comment en es-tu arrivé à cette collaboration ? Qu'y faisais-tu plus particulièrement ?


- J'ai écrit des sketches pour Les Nuls : L'Émission en 1993, puis j'ai participé à la première année de Groland, mais je n'étais pas à ma place. Humour trop carollien, pas assez politique.

- Tu sembles d'ailleurs diversifier ta façon de t'exprimer. Tu fournis des illustrations pour Pour la science (on a fait appel à toi ?), tu as illustré les livres de Hervé Thiellement, tu as remporté un prix pour ton court-métrage Pecking chicken, tu sembles très attiré par le multimedia : c'est un besoin de te renouveler ?

Combien012- C'est Léandri qui m'a branché avec Pour la science, évidemment. Ca fait 11 ans, maintenant... Faire des gags pour des non-lecteurs de bandes dessinées, scientifiques de surcroît, est un exercice très intéressant : ce qui marche avec les lecteurs habituels ne fonctionne pas, il faut trouver un autre angle... Et puis c'est de l'illustration, alors on sert un propos, c'est une contrainte intéressante... bien que cela manque d'articles sur les LAPINS.
Se renouveler... Je ne sais pas... J'ai l'habitude de dire qu'un artiste éprouve souvent le besoin d'utiliser d'autres moyens de s'exprimer. On dit toujours la même chose, en dessin, en musique, en vidéo... Mais que dit-on? Et pourquoi? Je ne sais pas encore très bien.

- Quels sont les auteurs de BD actuels desquels tu te sens le plus proche ?

- Proches je sais pas mais j'adore Libon pour sa fraîcheur moderne, et Jake Raynal pour sa noirceur moderne.

- Quand as-tu commencé à utiliser le web ? De façon personnelle ? De façon professionnelle ? (je sais que tu étais très présent sur le site de Fluide, mais est-ce que ça avait commencé avant ?)

- On m'a prié de m'y mettre à l'époque de Spirou, pour faciliter les échanges... et me commander des trucs à la dernière minute!!

- Est-ce que c'est un moyen d'expression ? Un moyen de promotion ?

-Surtout l'avantage de pouvoir faire des couleurs en toute sécurité et des dessins animés sans machine énorme. Et du montage vidéo, aussi...

- A part tes trucs pour Fluide et tes vidéos, est-ce que tu as fait des trucs directement en rapport avec la BD pour le web ?

- Non

- Donc, ça n'était pas une envie de ta part ? Mais sur le site de Fluide, tu n'étais pas "obligé" ? Tu y as donc pris goût à un moment donné. Quand ? Pourquoi ? Qu'est-ce qui a été le déclencheur ?

- La possibilité de faire autre chose que des dessins ! D'autres trucs courts... J'aime ce format.

- Tu t'occupes de tes couleurs désormais pour Fluide. Tu ne te sers de Photoshop que pour ça ? Tu restes traditionnel dans ta façon de dessiner ? Plume et encre. Tu n'as jamais eu envie de travailler directement sur ordinateur de façon complète (dessin et couleurs) ?

- Berk non. je suis mauvais en couleurs, d'où l'intérêt de Photoshop. Mais l'ordi ne remplace pas la subtilité de la plume et le plaisir du papier. Et pis bosser sur un écran toute la journée, beurk.

- Tu n'as jamais eu envie de faire un blog d'auteur comme beaucoup ont fleuri, autobiographique ou autre ? Ce n'est pas dans tes projets ?

- Je suis content que tu l'aies fait, pour la promo éventuelle... mais discuter avec des mecs à qui ça ne coûte rien de te critiquer par mail, contrairement au courrier, c'est déprimant.

Combien013- Pourquoi ta présence sur Facebook ?

- On m'a forcé msieur.
Naan une copine me tannait pour que je le fasse, Doc s'en est chargé pour moi...

- Bien qu'on t'ait forcé, ça t'apporte quoi ta présence sur FB ? La rencontre, le contact avec tes lecteurs ? Eux viennent à ta rencontre par cet intermédiaire. C'est important pour toi ou ça t'est égal ? Est-ce que ça te donne une possibilité d'échanger avec ton lectorat que tu n'avais pas ? De voir sa réaction ? De voir ce qu'il préfère ? Ca pourrait t'influencer pour ton boulot ? Sur le choix des sujets que tu pourrais traiter ?

- Non. Ne jamais se laisser commander par le public. On finit par devenir lisse et vendu. Et puis prudence... un compliment flatte et une critique désole... C'est pas notre boulot de trop consulter l'avis des gens...

- Les blogs sont récents, je suis bien placé pour le savoir, mais avant tu avais mis tes chansons et tes vidéos sur le web. Dans quels buts ?

- C'était dans le cadre du site de Fluide, qui me permettait de faire écouter ce dont je suis capable.

- Le public était quand même restreint. Il se limitait sans doute à des lecteurs de Fluide. Sur Youtube, tout est un peu noyé dans la masse. Tu n'as jamais essayé de montrer ce que tu fais à des professionnels du métier (surtout en ce qui concerne les chansons) ?

- Si. mais faut y passer dix ans!!
Et pis je suis pas très à la mode, ni très charismatique en tant que chanteur. alors je préfère servir le propos d'un groupe (*).

(*) Il s'agit des Bandits du Vidourle


- Et les blogs ? Ils t'apportent quelque chose ? Pour le moment, il n'y a pas beaucoup de retour, mais qu'en espères-tu (si tu en espères quelque chose) ?

- Me faire connaître.

- Là, tu parles surtout du blog de musique, je suppose. Sur le blog de dessins, nous avons mis surtout des trucs anciens (c'est mon intention d'en mettre de plus en plus, puisque la ressource est presque inépuisable).
La musique est plus importante pour toi que le dessin ?

- Nan . Pareil. Je ne peux me passer de l'un ou de l'autre!!

Combien006- Si on sort un peu de la partie voyante du web, utilises-tu professionnellement la messagerie comme moyen de communication ?

- Oui, avec les collaborateurs de Spirou.. Envoi de brouillon, réflexions, corrections..

- Tu bosses de cette façon pour le sommaire ? Pour le dessin du Professeur Spéculoos ? Et avec Luc Cromheecke, avec qui tu fais le dessin pour l'abonnement, tu bosses comment ?
Avec Pour la science, tu bosses aussi par messagerie interposée ?

- Oui oui !! Tout pareil ! Envoi de brouillon, critique, et réalisation à distance.

- Quels outils informatiques (logiciels...) utilises-tu ?

- Photoshop, Imovie, Garageband.

- Ah oui, c'est vrai, tu bosses sur Mac.
Photoshop, c'est pour faire tes couleurs. Tu t'y es mis à quel moment ? C'est récent, me semble-t-il, du moins en ce qui concerne tes couleurs pour Fluide.
Tu n'étais pas satisfait du boulot des coloristes ?

- Vu que je n'ai plus droit qu'à deux pages dans Fluide, j'ai préféré gagner un peu plus en faisant les couleurs, et pis 2 pages c'est pas trop long..

- C'est une manière de tout maîtriser ?

- Oui aussi, même si mes couleurs ne sont pas terribles, je préfère rester maître à bord...

Combien009
- Ca t'apporte quoi ta présence sur Facebook ?


- Des réactions inattendues, des commentaires inattendus, la possibilité d'élagrir ma palette de docs dispos pour les gens que j'intéresse sans faire chier les autres!!!...

- Je suppose que lors des dédicaces, tu as des échanges avec tes lecteurs. Est-ce qu'être sur FB, ça a renforcé, amélioré, augmenté ces échanges ?

- C'est un peu tôt encore et pis j'y rencontre beaucoup de connaissances!!

- Quels sont tes projets actuels ? As-tu des envies particulières ?

- Butiner, toujours... Plus de musique, plus d'illustrations... Faire cet album que me réclame Bercovici depuis trois ans... Refaire des clips en Flash... Ecrire des chansons pour d'autres...

Combien007Quelques questions bonus :

- Tu m'as parlé de tes influences en matière de BD (Pilote, Gotlib...) surtout dues à ton frère.
Mais est-ce que tu avais des lectures autres que la BD qui auraient pu t'influencer ?
Ou ne pas t'influencer. Que lisais-tu à l'époque ?

- Buzzati, Beckett

- Que lis-tu actuellement ?

- Je lis peu. Giono principalement, 10 cet été !!! Et pis j'ai enfin lu Don Quichotte et découvert que les moulins à vent sont une erreur de traduction, car ce sont des moulins à eaux et les bras de géants, ce sont en fait des gros battoirs!!!

- Dans tes histoires, on retrouve un univers de conte de fée, un univers proche de celui de Lewis Carroll.
Tu as lu Alice ?

- Oh oui oh oui et surtout A travers le miroir !!!


- Je m'aperçois qu'on n'a pas parlé de cinéma alors que tu as fait tes petites vidéos.
T'aimes quoi comme genre ? T'as des auteurs, des acteurs fétiches ?
T'as une culture particulière ?
C'est quoi ton film préféré ?
Etc. ?

- Harold et Maud, Little Big Man, Cul-de-sac, John Waters, Lenny Bruce, Alice's Restaurant, Wenders...
Tati, Tati, Tati, Tati...

- John Waters, je ne vois pas trop qui c'est. Je suis allé faire un tour sur internet. Sur son site officiel, il est en photo avec Divine.

- Décadent 70's... Oui le metteur en scène de Divine !!

- Cul-de-sac ? Le film de Polanski ?

- Vi

- Lenny Bruce, le film avec D. Hoffmann ou le personnage réel ?

- Le film !!

- Alice's restaurant, c'est pour Arlo Guthrie ? Je l'ai vu, quand j'étais ado au ciné-club un vendredi soir sur la 2ème chaîne.

- Vi, ça a pas mal vieilli !!

- Pourquoi Tati ?

- Parce que... parce que... parce que...
Les couleurs, l'époque, les silences, les détails, le retenu, la rigueur, le contraire de la vulgarité, son solex, son univers enfantin assumé.

- Je n'aurais jamais pensé t'associer à Tati.
Tati et Lenny Bruce ou John Waters, ce n'est pas tout à fait la même chose.

- Ah vi c'est bien contrasté hahaha

- Par contre Tati, Lewis Carroll...
On pourrait y voir une ressemblance.

- Vi. Pis sont venues les drogues et John waters est arrivé haha

- Alice mangeait déjà des champignons !!!

- Hihi j'étais sûr ktallais dire ça.

(C'EST TOUT POUR AUJOURD'HUI !!!)


2004_CombienDeCapitaines

 
Les dessins illustrant cet interview sont tous tirés de
Combien de capitaines (Fluide Glacial) et sont © Thiriet

 

Pour en voir un peu plus sur le travail de Thiriet, vous pouvez vous rendre sur son site "Si l'humour de Thiriet ne vous laisse pas de glace..." .

Pour écouter les chansons et voir les vidéos, rendez-vous sur "Thiriet connaît la musique".



Parmi les dernières parutions de Thiriet
:

2007_LesBrigandsDuVistre
Les Brigands du Vistre (Fluide Glacial)


2009_SexCrimes
Sex crimes (dessins de Thierry Robin) (Fluide Glacial)


2009_FuguePourSixPattes
Fugue pour six pattes (L'Association)


2010_HistoireDeLaMusique01
L'histoire de la musique en 80 tomes (Fluide Glacial)


Mon choix personnel :

1996_VerteCampagne
Verte campagne (L'Association)


En attendant, vous pouvez avoir un avant-goût de ses vidéos : Respecto, clip réalisé par Thiriet pour Alain Bonnefont, et Pecking Chicken à Strasbourg.


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28 novembre 2009

La voix au chapitre n°5 : "HP" (Tome 1 : "L'asile d'aliénés") de Lisa Mandel

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Lisa Mandel est l'auteure de séries à destination de la jeunesse "Nini Patalo" et "Eddy Milveux" ainsi que de "Libre comme un poney sauvage", qui reprend les pages de son blog.
Le livre qu'elle publie aujourd'hui déroutera sans doute ceux qui suivent de près son travail, puisqu'elle a décidé de publier un recueil de récits se déroulant dans l'univers de l'hôpital psychiatrique.

Dès son enfance, Lisa Mandel a entendu des anecdotes de travail de la bouche de sa mère et de son beau-père, tous deux infirmiers dans un HP, un Hôpital Psychatrique.
Et l'idée d'en faire un livre la tenaillait depuis très longtemps.
Voici donc son souhait réalisé avec la parution à L'Association du 1er tome d'une série qui en comportera trois, "HP", sous-titrée pour cette première partie "L'asile d'aliénés".

Ayant recueilli les témoignages filmés de ses parents et de trois de leurs collègues, Lisa Mandel présente dans ce premier album leurs souvenirs d'infirmiers de la fin des années soixante au début des années soixante-dix.

Où en est la psychiatrie à cette époque ?
En 1838, Louis-Philippe avait fait promulguer une loi ordonnant la création dans chaque département d'"établissement public spécialement destiné à recevoir et soigner des aliénés".
En réalité, il s'agissait plus de surveiller et d'isoler les "malades mentaux" derrière des murs que de les soigner, la pharmacopée et les techniques de soin étant très restreintes à cette époque.
Au début des années 1950, la découverte des neuroleptiques a amené à remplacer la camisole de force par la "camisole chimique".
Fin 1960-début 1970, l'hôpital psychiatrique est encore une sorte d'établissement carcéral où les infirmiers font leur loi sans contrôle réel de l'extérieur.
Les malades sont désormais sous l'emprise de médicaments qui permettent, si ce n'est de soigner leur mal -ou leur mal-être-, de faire en sorte qu'il soient moins agités et parfois même qu'ils puissent aller à l'extérieur.

C'est dans ce contexte que débute le récit de Lisa Mandel.
Il est constitué de toute une série d'anecdotes, constituées en chapitres de quelques pages, racontées par les infirmiers eux-mêmes.
Les témoignages de chacun se suffisent à eux-mêmes.
Ils sont racontés de façon brute.
Et ils sont souvent ahurissants, terrifiants et révoltants.
On touche ici au tréfonds de la misère humaine.
Les infirmiers sont à cette époque plus des gardiens que des soignants.
Ce sont eux qui détiennent les clés des pavillons et des dortoirs.
Les malades sont exploités.
Les plus valides sont chargés de s'occuper de ceux qui le sont moins et des tâches routinières en échange de certains avantages.
On découvre les farces de mauvais goût faites aux dépens des malades par les infirmiers.
Quant aux soins, ils laissent parfois rêveurs.
Les posologies sont approximatives.
Les infirmiers "soignent" sans prescriptions médicales.
Les électro-chocs ou la cure de Sakel (insulinothérapie) sont encore en vogue.
Et la "cognothérapie" et les brimades vont bon train.
C'est le pouvoir exercé par le Fort sur le Faible.

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Lisa Mandel illustre avec son style habituel, sans chercher à le rendre plus réaliste, chaque récit.
Sans effet ni pathos.
Mais elle nous donne à voir des visages éprouvés aux regards où percent une grande détresse.
La sensation d'enfermement est très présente.
Que ce soit à l'intérieur des murs de l'HP ou l'enfermement des esprits dans ces corps difformes, maltraités, rafistolés.

On prend plusieurs de ces anecdotes, prises directement à la source, comme de véritables coups de poing en pleine gueule et aucune ne pourra laisser le lecteur indifférent.

Lisa Mandel nous offre là un témoignage fort et dérangeant sur le passé d'une institution dont les murs hauts et épais cachaient, dans un univers déshumanisé, ceux que l'on ne voulait pas voir, ceux qui faisaient peur, ceux, peut-être aussi, à qui l'on craignait un jour de ressembler. C'est l'éternelle question de l'Autre, celui qui nous est différent.

Une seule concession à la couleur dans ce récit en noir et gris : l'orange, la couleur, d'après Lisa Mandel, de la folie, lui permettant de mettre l'accent sur certaines parties de l'image, texte ou dessin.

Un livre indispensable qui fera date l'oeuvre de l'auteure et marquera plus d'un de ses lecteurs.

Le prochain tome devrait paraître en octobre 2010.

"HP" (Tome 1 : "L'asile d'alénés") de Lisa Mandel (L'Association) - Prix éditeur : 13 Euros
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25 novembre 2009

Un entretien exclusif avec Marcel Gotlib

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Le bruit court dans le Landerneau de la BD que ce ne serait pas Gotlib qui aurait dessiné la couverture du dernier Fluide Glacial (n°402 de décembre 2009), arguant du fait qu'à presque 100 ans (il les aura en 2034), celui que l'on appelle "Le Maître" ne serait plus capable de tenir un crayon.
Plutôt que de relayer cette rumeur, j'ai demandé à l'un des collaborateurs de Fluide, Jean-Michel Thiriet, qui a néanmoins tenu à conserver l'anonymat et dont le nom apparaîtra donc barré dans ce texte, de me donner le numéro de téléphone de l'Intéressé afin que je puisse Lui poser la question moi-même.

Je retranscris la conversation dans son intégralité.

Je compose le numéro. Le téléphone sonne plusieurs fois.

"Allo".
La voix est juvénile et féminine.
Ce qui me fait tout de suite penser qu'il ne s'agit pas de Gotlib, mais sans doute de sa secrétaire.

Moi : - Bonjour. J'écris un article sur Monsieur Gotlib. Me serait-il possible de Lui parler ?
La voix juvénile et féminine : - Vous tombez bien; il vient juste de terminer sa sieste. Je vais le chercher. Mais ne le retenez pas trop longtemps, il doit prendre son potage à 17 heures 30.
Moi : - Ne vous inquiètez pas. Je serai bref.

Un temps. Puis des grincements insolites me parviennent à travers l'écouteur.
Ceux des roues d'un fauteuil roulant que l'on pousse ?

La voix juvénile et féminine : - Voilà, je vous passe Monsieur Gotlib...
La voix juvénile et féminine, un peu étouffée, s'adressant sans nul doute à mon correspondant : - Monsieur Gotlib, je vous mets le téléphone en "mains libres". Ca évitera que vous baviez sur le combiné. Appelez-moi lorsque la communication sera terminée pour que je raccroche.

Aux petits soins pour le Maître, la secrétaire...

La voix juvénile et féminine, s'adressant toujours à mon correspondant : - Et si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à m'appeler.
La voix de Marcel Gotlib, me parvenant enfin à l'oreille : - Bien, Nurse... Allo ?
Moi : - Bonjour. J'ai bien l'honneur de m'adresser à Monsieur Marcel Gotlib ?
Marcel Gotlib : - Euh... Attendez... Nurse ! Comment je m'appelle déjà ?

La voix de "Nurse" est trop éloignée pour que je puisse entendre la réponse.

Marcel Gotlib : - Oui, c'est bien ça. Marielle Goitschlib. A qui ai-je l'honneur ?
Moi : - Doc Flebus.
Marielle Goitschlib : - Doc ? Mais je ne suis pas malade...
Moi : - C'est un pseudo. J'écris un article...
Marielle Goitschlib : - Un article ? Quel article ? Je n'ai besoin de rien... Nurse !!! C'est quelqu'un qui veut me vendre des articles !!!
Moi : - C'est pour la couverture de...
Marielle Goitschlib : - Je n'ai pas besoin de couverture... C'est très bien chauffé ici... Nurse !!!
Moi : - Vous vous méprenez... Je parle de la couverture de Fluide Glacial...
Marielle Goitschlib : - Glacial ? Dehors, peut-être... Je ne sais pas... Je ne sors jamais... Ici, je vous dis qu'il fait très chaud... Nurse !!!
Moi : - Fluide Glacial... Votre journal...
Marielle Goitschlib : - Connais pas... Moi, je ne lis que "Monsieur Subito" dans "Paris-Soir"... Nurse !!!
Moi : - S'il-vous-plait, Monsieur Go...
Marielle Goitschlib : - Nurse !!!
Moi : - Juste une question...
Marielle Goitschlib : - Nurse !!!
Moi : - Qui a dessiné Super-Dupont...
Marielle Goitschlib : - Dupont ? Vous faites erreur... Je m'appelle Goitschlib... Nurse !!!
Moi : - ... sur la couverture...
Marielle Goitschlib : - Nurse !!! Je crois que...
Moi : - ... du dernier numéro de...
Marielle Goitschlib : - ... j'ai fait sous...
Moi : - ... Fluide Glacial ?
Marielle Goitschlib : - ... moi...
Moi : - Vous ? Je n'en doutais pas. Maintenant, je vais Vous laisser retourner à Vos affaires courantes. Merci et excusez-moi pour le dérangement.
Marielle Goitschlib : - De rien, Madame. C'est moi qui vous remercie. J'espère que maintenant le paiement de ma retraite ne tardera pas trop.
Moi : - Au revoir.
Marielle Goitschlib : - Nurse !!! Nurse !!! J'en ai plein mon panta...

J'ai raccroché, heureux.
Il n'y avait plus aucun doute. "Le Maître" venait de me le confirmer Lui-même : Il avait bien réalisé le dessin de Super-Dupont en couverture du dernier numéro de Fluide Glacial.
A presque 100 ans, Il est toujours en toute possession de ses moyens.

ALORS, MAINTENANT QUE LES MAUVAISES LANGUES SE TAISENT !!!

(Et heureusement qu'il y a des gens comme moi pour rétablir la vérité...)

20 novembre 2009

La voix au chapitre n°4 : "La main verte" de Hervé Bourhis

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L'histoire se déroule en France dans un futur proche. Très proche. 201?.
La crise énergétique vient de frapper la planète.
Le président de la république, Nicolas Sarkozy, informe nos concitoyens que les stocks de pétrole restants seront désormais réservés aux forces de l'ordre, aux services d'urgence, à l'armée. Vive la République ! Vive la France !

Les prix flambent. Herbert Boris (pseudo à peine voilé), auteur de bandes dessinées, dont l'éditeur vient de mettre la clé sous la porte ("Fini la BD, les gens dépensent leurs sous dans des trucs utiles"), est activement encouragé par sa compagne, Alexandra, à trouver un travail.
Ce qui n'est pas facile lorsque la seule chose que l'on sait faire, c'est dessiner...
Alors qu'il a obtenu une aide de la Région pour devenir vélo-taxi indépendant, une rencontre avec une cliente qui lui propose de restaurer une fresque (je vous laisse découvrir de quoi il s'agit) lui permettra de se procurer de l'essence pour sa voiture.

Alexandra, dont le potager qu'elle a installé dans l'appartement dépérit, forcera la main -qu'il n'a pas "verte"- à Herbert pour qu'il aille trouver conseil auprès de son père, jardinier émérite.

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Et voilà Herbert parti, en compagnie de son fils, pour un véritable "road BD" entre Bordeaux et Tours, au cours duquel, traversant la France profonde de la démerde, il fera quelques rencontres insolites et connaîtra les péripéties inérentes au genre...

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Comment qualifier ce livre ?
Si la situation est en soi dramatique, son traitement tient plutôt de la comédie, parfois même de la farce : les situations sont drôles (l'entretien au "Pôle Emploi", par exemple), les morts de l'histoire prêtent à sourire, l'auteur propose même quelques fiches techniques et, au milieu du livre, un "Jeu de la main verte", sorte de jeu de l'oie auquel chacun pourra jouer en famille...
Pour cette histoire, le dessin de Bourhis, dont j'avais lu précédemment "Comix remix", une revisite du mythe des super-héros, semble s'être assoupli (dessin au pinceau ?) et fait la part belle aux couleurs aquarellisantes, le trait principal étant réalisé dans un ton sépia...
Pas ou peu de noir donc, malgré la noirceur du sujet. Ce qui ajoute à cette impression de comédie, même si elle reste "humaine".
Un livre qu'on lit avec plaisir, avant que ce futur annoncé ne nous rejoigne.

"La main verte" de Hervé Bourhis (Futuropolis) - Prix éditeur : 16 Euros

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11 novembre 2009

La voix au chapitre n°3 : "Putain de guerre !", Tomes 1 et 2, de Jacques Tardi

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Tout a commencé quand le petit Jacques Tardi écoutait sa grand-mère lui raconter "la" guerre de son mari, ancien poilu qui, quant à lui, ne l'évoquait jamais.
Des récits qui ont profondément marqué l'homme Tardi.
Depuis 35 ans, la guerre de 14-18, "La Grande Guerre", jalonne son oeuvre, de "La fleur au fusil" jusqu'à ce 2ème tome de "Putain de guerre !" en passant par "C'était la guerre des tranchées".

Les deux ouvrages ici présentés sont divisés chacun en trois années.
Le premier, paru en novembre 2008, rassemble les années 1914, 1915 et 1916, le second, paru ce mois-ci, celles de 1917, 1918 et 1919.

Chaque année commence par deux citations mises en exergue.
Soigneusement choisies, elles donnent, comme le titre, le ton de l'ensemble.
En voici deux à titre d'exemple :
1914 : "Je pense que ces évènements sont fort heureux; il y a quarante ans que je les attends. La France se refait, et selon moi, elle ne pouvait pas se refaire autrement que par la guerre qui la purifie." Alfred BAUDRILLART. Evêque. "Le Matin". 16/08/1914.
1919 : "La guerre européenne, devenue plus tard mondiale, a été un horrible évènement : elle n'a été illuminée par aucun principe, par aucune pensée, par aucune grande idée." Francesco NITTI, président du Conseil italien (1919-1920)

A quelques exceptions près, chaque planche est divisée en trois bandes. C'est la vue que chaque homme, qu'il soit dans les tranchées ou qu'il monte au front, a : celle de l'horizon. Celui de la ligne de front, là où se trouve l'ennemi, celui qu'il faut tuer avant qu'il ne vous tue. Un horizon souvent vide, celui d'un sol meurtri et jonché de cadavres pourrissants. Un endroit où le ciel et la terre se confondent.

Si le premier tome arborait quelques couleurs (les soldats partant joyeux, la fleur au fusil, pour le front dans leur pantalon garance en été 1914, les drapeaux tricolores...), le second est quasiment gris (les paysages dévastés, les explosions, la fumée, le sang mêlé à la boue dont chaque homme est couvert...).

Là où "C'était la guerre des tranchées" présentait des tranches de vies (ou de morts), "Putain de guerre !" donne la parole à un narrateur unique, un poilu -ouvrier tourneur de son état- contant et commentant les évènements auxquels il participe. D'où, bien évidemment, un point de vue formel. Cette voix "off" -le récit ne contient pas de bulles- c'est aussi celle de l'auteur.

C'est l'horreur sous toutes ses formes que nous donne à voir Tardi à travers les yeux de ce personnage.
Les tranchées, les trous d'obus, les barbelés, un état-major qui s'obstine à envoyer "ses" hommes au casse-pipe, les "mutineries" de 1917 et leurs représailles, les ravages sur les corps et les esprits...
C'est la colère d'un homme face à un spectacle indicible.
Comment des hommes ont-ils pu vivre ou survivre dans de pareilles conditions ?
Que sont devenus, après la guerre, ces hommes au regard vide ?
Même si son travail est très documenté, Tardi ne prétend pas faire oeuvre d'historien; ce qui l'intéresse ici, c'est le genre humain.
"Je ne m'intéresse qu'à l'homme et à ses souffrances, et mon indignation est grande...", écrivait-il dans sa préface de "C'était la guerre des tranchées".
Ce n'est donc pas seulement, "La Grande Guerre" que Tardi condamne ici, mais toutes les formes de guerres.

Une note optimiste dans ce déluge de fer, de chair et de sang : la rencontre entre le protagoniste principal et son alter ego allemand. Suggérant peut-être que le destin des hommes est entre les mains de ceux à qui l'on veut faire porter les armes.

En complément aux dessins de Tardi et leur faisant suite, Jean-Pierre Verney, documentaliste et ami de l'auteur, détaille chaque année dans des articles riches en photographies d'époque.

Un DVD accompagnant le tome 2, "Tardi et Verney sur les champs d'horreur", donne un intéressant aperçu du travail du dessinateur et de son documentaliste, allant de la prise de photos in situ à l'atelier de l'artiste.


"Putain de guerre !" de Tardi et Verney (Casterman) Tome 1 et 2 - Prix éditeur : 16 Euros
"Putain de guerre !" Tome 2 + DVD - Prix éditeur : 24 Euros

En parallèle, la chanteuse Dominique Grange, compagne de Tardi, sort un CD rassemblant plusieurs chansons de l'époque, dont la célèbre "Chanson de Craonne" ainsi que quelques-unes de sa composition.

Interviews de Tardi sur le site de Casterman :
http://bd.casterman.com/articles_detail.cfm?ID=553 (Tome 1)
http://bd.casterman.com/articles_detail.cfm?ID=803 (Tome 2)

4 novembre 2009

La voix au chapitre n°2 : "Ventricule" de Marc Lizano et Phicil

ventriculeMarc Lizano est un auteur complet.
Il peut être à la fois scénariste et dessinateur pour son propre compte, scénariste pour d'autres dessinateurs ou illustrateur pour d'autres auteurs.
Il travaille non seulement dans la bande dessinée mais également dans le monde de l'illustration pour la jeunesse.
Ce qui doit lui faire des journées bien remplies.

C'est en tant que scénariste qu'il a publié avant l'été avec Phicil (Philippe Gillot) une bande dessinée intitulée "Ventricule".

Le début de l'histoire est assez classique : Claire et Simon -deux trentenaires ?- se rencontrent à l'occasion d'une pendaison de crémaillère. C'est le début d'une histoire d'amour.
Tout pourrait être simple mais chacun a ses fêlures, ses blessures.
Et ce n'est pas toujours évident de les concilier avec celles de l'autre.

C'est donc une histoire de coeurs que nous racontent les auteurs, d'où son titre.
Une histoire divisée en deux parties (à l'origine, elle devait faire l'objet de deux tomes) : "Ventricule gauche" et "Ventricule droit".
Entre les deux, l'infarctus ?

Marc Lizano excelle dans les récits intimistes.
Il en avait déjà fait la preuve dans "Bluette-sur-Mer" paru chez Glénat en 2003.
Une histoire dans laquelle figuraient déjà deux des protagonistes de "Ventricule", Virginie et Laurent, témoins privilégiés et acteurs de cet album.
Les mots sont ceux de notre époque (j'ai appris que "binouze" signifiait "bière") et l'humour et la fantaisie y sont souvent présents.

Le dessin semi-réaliste de Phicil, expressif et dynamique, agrémenté des couleurs de Anne-Claire Jouvray, convient parfaitement à cet épisode plein de sensibilité,à la fois léger, émouvant et poignant, de la vie de tous les jours.

A noter, les participations de Charles Dutertre et de Ulf K pour les séquences oniriques et de flash-back.
Des styles moins réalistes que celui de Phicil.
Aux couleurs monochromes (si je puis dire) qui donnent aux souvenirs un côté décalé et lointain indéniable. Une bonne idée.

Du beau travail. 

Quelques dessins valant mieux qu'un long discours, chacun pourra se rendre compte de l'ambiance du livre sur le blog de Marc Lizano à cette adresse :
http://lizano.canalblog.com/archives/2007/09/10/6163327.html
Les premières pages y sont visibles. Ce serait dommage de ne pas y aller faire un tour. D'autant que le reste du blog est très fourni.

"Ventricule" de Marc Lizano et Phicil. Editions Carabas (Prix éditeur : 15 Euros)

29 octobre 2009

L'anniversaire d'Astérix et Obélix - Le livre d'or

Asterix34frLe 29 octobre 1959, paraissait, à grand renfort de publicité sur Radio-Luxembourg, le premier numéro d'un hebdomadaire qui allait révolutionner la bande dessinée, "Pilote". Dans ce numéro un, le jeune lecteur de l'époque pouvait découvrir les premiers pas d'un personnage malingre aux traits anguleux, un Gaulois nommé Astérix. Les auteurs : René Goscinny à la plume et Albert Uderzo au pinceau.

Cinquante ans et toutes ses dents (les Romains un peu moins) plus tard, Astérix est toujours parmi nous. Obélix, qui ne fait que de la figuration dans la première histoire, l'accompagnera par la suite dans toutes ses aventures, bientôt rejoint par une pléiade de personnages.
Le trait, au fur et à mesure des années, s'est arrondi, Obélix est devenu plus grand et plus gros... euh... plus enveloppé. Les personnages sont devenus un mythe et sont reconnus aujourd'hui dans le monde entier.

Pour l'occasion, Uderzo, qui assure seul scénario et dessins depuis la disparition de Goscinny le 5 novembre 1977, a concocté un album dont le fil conducteur est cette question : qu'est-ce que les habitants du village Gaulois pourraient bien offrir à Astérix et Obélix pour cet anniversaire ?

L'histoire, qui n'en est pas vraiment une, permet à Uderzo de faire réapparaître de nombreux personnages ayant jalonné les différentes aventures, de rendre hommage à son vieux complice René au travers d'un texte de ce dernier paru dans "Pilote" en 1966 (et qui semble toujours d'actualité) et d'insérer au détour de quelques pages des illustrations diverses (dont des dessins pour "Pilote") et des parodies de peintures classiques.

Le tout se lit avec plaisir. Et sans doute un peu de nostalgie. Et permet d'apprécier encore une fois le trait d'Uderzo qui reste un immense dessinateur. Même s'il n'assure plus l'encrage de ses planches depuis quelques années. Il a  une nouvelle fois confié ce dernier aux frères Frédéric et Thierry Mébarki, qui lui succèderont (source : Interview d'Uderzo dans Casemate de novembre 2009) au dessin après qu'il aura réalisé un dernier album en solo (le choix du scénariste successeur n'étant pas encore arrêté).

"L'anniversaire d'Astérix et Obélix - Le livre d'or" (Préface d'Astérix et de Anne Goscinny) par Goscinny et Uderzo aux Editions Albert-René (Prix Editeur : 9,20 €)

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